Aller au contenu

Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
162
LE TRÉSOR d’ARLATAN

journée d’hiver méridional, le mistral qui soufflait de haut, fouettant et brisant un large soleil rouge, faisant courir de longues ombres sur un ciel bleu admirable.

« Et ta femme, la belle Naïs ? tu ne m’en parles pas, Charlon ?… »

Sous son feutre sans couleur déformé par tous les temps, le garde fronça d’épais sourcils : « C’est celle-là que les fièvres ont changée. Elle les a autant dire d’un bout de l’année à l’autre… Ainsi, en plein hiver comme nous sommes, hier matin son accès l’a reprise, et depuis deux jours elle ne fait que grelotter… cla… cla… Ah ! la belle Naïs, que vous avez fait danser tout un soir, à la vote de Montmajour ; celle qui s’en croyait tant, de tourner à votre bras et d’entendre dire autour d’elle : « , comme ils sont galants… » celle-là, ma pauvre femme ne lui semble plus guère, et ce n’est pas moi qui m’en plaindrai. Je l’aime mieux moins belle et toute pour moi seul. » Ce fut dit d’un accent de sincérité et de colère dont le Franciot resta saisi :

« Tu es jaloux, Charlon ? »

Et avec ce besoin si humain de tout ramener à nos propres misères :

« Que serais-tu devenu, alors, si tu avais pour femme une actrice, une chanteuse, obligée de se déshabiller tous les soirs pour le public, de montrer ses bras, ses épaules ?… »