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LE TRÉSOR D’ARLATAN

L’après-midi, il chassa avec Charlon dans le marécage ; et la nouveauté de cette chasse, tantôt à pied, dans d’énormes bottes taillées sur toute la longueur du cuir, en marchant lentement, prudemment, de peur de s’envaser, écartant les roseaux pleins d’odeurs saumâtres et de sauts de grenouilles, tantôt dans le naye-chien étroit, sans quille, qui roule à chaque mouvement, la pénible manœuvre de la perche, les martilières (vannes) à relever ou à baisser, toute cette bonne fatigue fit diversion à son chagrin. Jusqu’au soir le souvenir de Madeleine Ogé le laissa à peu près tranquille. Au moment d’allumer sa lanterne pour rentrer, Charlon lui dit timidement, avec sa grosse moustache qui tremblait :

« Il ne faut pas lui en vouloir, monsieur Henri ; à présent, je sais pourquoi, Naïs se cache de vous, s’obstine à ne pas se faire voir… Elle dit qu’elle est trop laide de ce moment et ne voudrait pas gâter l’image que vous aviez d’elle. Nos femmes de la terre d’Arles sont si coquettes de leur visage !

— C’est vrai que la tienne était bien belle il y a cinq ou six ans.

— Outre, oui, qu’elle était belle… » dit le brave Charlon en frisant ses petits yeux jaunes.

Mais, au fond, on sentait qu’il en parlait sans regret, de cette beauté perdue. Sa jalousie en avait trop souffert.