Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je n’avais pas eu la chance de rencontrer mon petit Château-Frayé et de m’en toquer tout de suite, ma foi !… j’aurais peut-être fini par l’ épouser.

– Tu n’en aurais toujours pas eu pour bien longtemps, murmura Veillon dans un sourire navré. La pauvre Louise était condamnée.

– Mais enfin de quoi est-elle morte ? Je l’avais laissée en pleine santé, en pleine force. »

L’ami, accoudé à la portière et regardant dehors, bredouilla quelques mots sous sa moustache : épuisement, bronchite mal soignée… on ne savait au juste. Il y eut un instant de silence ; puis, sur l’annonce de la station de Juvisy :

« Il faut descendre, dit Veillon, nous ferons le reste du chemin à pied. »

Sous un ciel de juillet, embrasé et blanc, un ciel de soleil fondu, le pavé du roi, comme on l’appelle encore, déroulait son interminable chaussée, bordée d’ormes rachitiques et de bornes monumentales. De distance en distance, le long des fossés à l’herbe rase et roussie, une borne de pierre, une croix de fer commémorative marquaient la place où un tel, maraîcher de tel endroit, en Seine-et-Oise, rentrant des Halles de Paris, était mort écrasé par les roues de sa charrette.

« Fatigue ou boisson, quelquefois les deux… » murmura Veillon.