Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/239

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Margot, et là, descendus de voiture, nous avons pris un chemin de traverse, mangé de ronces, ce que les cantonniers appellent une route morte. Ce chemin contourne le parc de Château-Frayé, nous l’avons suivi tous les trois en frôlant les murailles chaudes de soleil. J’avais peur d’être vu par un de tes fermiers ou par quelque ouvrier de la raffinerie ; ils me connaissent tous. Heureusement, c’était l’heure du travail. Elle s’exaltait à l’idée que cet immense troupeau dans la plaine, ce berger, ces grands chiens étaient à toi. « Que je m’amuse ! Que je suis contente ! » disait-elle en battant des mains comme une enfant. Arrivés près de la charmille, son saisissement grandit encore. Tu sais que la muraille, de distance en distance, est remplacée par une haute grille de fer qui laisse voir la double allée de tilleuls séparée d’une large pelouse. Nous étions là regardant derrière les barreaux, aspirant l’odeur de toute cette jeune floraison printanière épanouie sous le soleil, quand je reconnus de loin la voix de ta femme qui arrivait vers nous sous la charmille avec la nourrice et l’enfant… Je n’eus que le temps de m’écarter, laissant Louise aux bras de sa sœur, immobile derrière la grille. Mon regard ne la quittait pas. Quand ta femme est passée, reculant à tout petits pas devant sa fille, rien, pas un de ses traits n’a bougé. Seulement c’était sinistre,