Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/264

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se douter jamais qu’elle est là, lui jeter en passant un bonjour, un bouquet, ces deux sous de fleurs qu’à Paris, rien qu’avec son nom au bord d’une pierre, elle serait toujours sûre d’avoir ?… Sans compter qu’à Wissous – deux tisons jaunes flambèrent sous les sourcils ardents de la gitane – elle aura un jour sa sœur pour lui faire société, et c’est une sacrée vilaine femme.

– Vraiment ? demanda du Bréau d’un ton qu’il essayait de rendre indifférent, vous la croyez si méchante que ça ?… »

Le vieux, les lèvres serrées :

« On ne l’a vue qu’une fois, mais ça suffit. Figurez-vous, monsieur, que cette année… »

La voiture continuait à grimper péniblement contre le mur du cimetière d’où montait une voix blafarde, officielle, sonnant faux dans le silence imposant de la campagne. Le panégyrique superbe que cette voix proférait sans doute, les phrases qu’elle filait sur quelque ancien dévidoir ministériel, branlant et reluisant, du Bréau était trop loin pour les entendre ; mais ce ronron funèbre le faisait penser aux déclamations de Desvarennes, son litre d’absinthe à la main, et les naïves confidences chuchotées à son oreille achevaient de lui serrer le cœur en lui prouvant combien tout ce qu’avait dit l’ivrogne devait être vrai.

« … Cette année donc, pour la fête du pays,