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Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/266

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On arrivait en haut du raidillon ; la voiture s’engageait dans un petit chemin à travers champs, où il y avait à peine la place de ses roues, et, après quelques minutes d’une course cahotée, elle s’arrêta au croisement de plusieurs routes dont la plus large et la plus droite était celle de Juvisy.

« Si vous allez toujours de ce pas, vous arriverez avant l’orage… » cria le vieux bohème à du Bréau qui se hâtait, courait presque, afin d’être seul et loin, d’échapper à l’histoire de cette fin de vie, navrante et obsédante comme un remords.

Eh ! oui, maintenant il en avait la preuve… C’est pour lui que Louise était venue vivre chez sa sœur, pour lui qu’elle y souffrit mille morts, dans l’espoir qu’elle le reverrait ; mais était-ce possible ? tout n’était-il pas fini, brisé depuis longtemps et pour toujours ? Il avait beau chercher, sa conscience ne lui reprochait rien.

Tout en songeant et regardant devant lui, il fut brusquement saisi par les transformations du paysage depuis quelques heures. En route avec Veillon, c’était une immense plaine du Midi, éblouie et papillotante sous la lumière d’un grand ciel blond, tout vibrant de chaleur intense ; à présent, sous ce même ciel mais assombri, comme descendu, les colzas en jaunes losanges, le vert cru des champs de betteraves, la rayure rose des sainfoins prenaient