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Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/278

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AU PORT MONTROUGE

détonation brutale éclate à mon côté, et, parmi l’âcre fumée dont notre voiture est remplie, je vois le chien rouler les pattes en l’air et mon compagnon qui remet son revolver à l’étui.

« Vous êtes un peu nerveux ce matin, mon camarade… Il doit y avoir du nouveau dans les affaires ? »

Lui, très grave :

« Il y a du nouveau, en effet. »

On reste encore quelques minutes sans rien se dire ; et seulement vers l’avancée du fort de Montrouge, répondant à toute l’anxiété, à toutes les interrogations de mon silence, de Vilers m’annonce brusquement :

« C’est fini… Metz a capitulé. Bazaine a tout perdu, tout vendu, même l’honneur. »

Ceux qui n’ont pas subi les affres du grand naufrage de 70 ne sauraient comprendre ce que nous représentait le nom de Bazaine, l’héroïque Bazaine, comme Gambetta l’appelait, l’espoir dont il fouettait notre courage, la nuit abominable où sa désertion nous plongea. Imaginez tous les cris possibles de délivrance et de joie : « Terre !… terre !… Une voile !… Sauvés !… Embrassons-nous !… Vive la France ! » Il y avait de tout cela dans ce beau nom de troupier versaillais, et tout à coup voilà qu’il signifiait le contraire. C’était à donner le vertige.

Aussi mon arrivée au fort me reste-t-elle un peu confuse. Je me souviens vaguement d’un