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Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/312

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SOUVENIR D’UN CHEF DE CABINET

luxueux feu de bois derrière le pare-étincelle, le roulement sourd des voitures sur le quai, je voyais la chambre de Mme de Feuchères, ma pauvre Ninette encore couchée, savourant son luxe nouveau, les joies de cette première journée suivie de journées pareilles, puis ma rentrée en coup de tonnerre :

« Lève-toi… Nous partons… C’est fini… »

Car c’était fini, sans nul doute. Que répondre à un homme qui venait de se montrer si bon ? Quelle excuse invoquer devant la preuve irréfutable ? Ma démission, sans bruit, sans phrases, c’était le seul parti brave et digne. Mais, mon Dieu, quel arrachement !

Des pas, une porte discrète… Je me retournai. Mora, déjà ganté, le chapeau sur la tête, élégant toujours, mais très pâle, la pâleur transparente des matins de Paris. Sans prendre garde à mon émotion, visible pourtant jusque dans mon hésitant salut, il me tendit un papier :

« Avez-vous du monde là ?… Il me faut deux copies de ceci… très nettes… pour l’empereur et l’impératrice… »

Il ajouta en se rapprochant de mon bureau :

« Voyez si vous lisez mon écriture… »

C’était le projet de son prochain discours pour l’ouverture des Chambres, écrit de sa petite cursive nerveuse, la moitié des mots ina-