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LE BRISE-CAILLOUX

regarda l’Océan quelques minutes, puis secoua la tête et ce fut « non ».

Le projet Vildieu n’inspirait pas confiance ; il aima mieux se livrer aux Anglais. Quelques mois après, le lieutenant Vildieu, qui avait son refus sur le cœur, voulut prouver que sa tentative d’évasion n’avait rien d’irréalisable, et, sur ce même petit barquot qu’il avait offert à Napoléon, il cingla vers l’Amérique avec deux aspirants de marine démissionnaires dont le plus jeune était son fils.

La traversée fut longue et rude. Le Brise-Cailloux, soigneusement aménagé, avait à son bord des barils d’eau douce, de pemmican et de biscuit. Pour de la viande fraîche il n’y fallait pas songer, une cage à poules aurait tenu la moitié du pont ; jusqu’au dernier jour les distributions de vivres furent réglées avec la plus rare prudence, et l’équipage n’eut pas trop à souffrir. Pourtant ce régime de viande salée devenait fatigant à la longue, les bouches étaient sèches, on avait soif ; mais, soif ou non, deux rations d’eau par jour, jamais davantage. Une fois, par une mer d’huile, quelque chose de rond vint flotter le long de la barque.

« Une pomme à tribord ! » cria joyeusement l’homme de la barre.

C’était une pomme, une belle rainette grise au milieu de l’Océan. Sans doute elle était tom-