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ROSE ET NINETTE

nuit passée sans larmes, sans cris, injures et violences où le malheureux s’échappait emporté par son délire ; après quoi il se roulait à ses pieds, sanglotait, demandait pardon.

« J’ai pardonné quatre ans ; et peut-être, par dignité, par pitié ou par honte, aussi pour notre enfant, aurais-je patienté encore ; mais un soir, — ici sa voix sombra, devint plus dure, la voix d’une autre femme, — un soir, le misérable, dans une de ses colères, finissant par douter que notre petit Maurice fût son fils, m’arracha l’enfant des bras et le jeta par terre si violemment. .. Ah ! mon pauvre petit…

« Dès ce jour, il put prier, pleurer, menacer de mourir et de me tuer aussi, je cessai d’être sa femme, je demandai la séparation et je l’obtins. Quittant aussitôt le Havre avec mon enfant, je suis venue vivre à Paris près de ma mère veuve, qui depuis quelques années habitait cette maison. C’est pour lui plaire, c’est sur son conseil que dans ce quartier, dans le monde où nous vivions, je me fis moi aussi passer pour veuve. La vieille société parisienne garde une prévention, une défiance de la femme séparée ; d’autant que rien n’indique, à moins de recherches spéciales, au profit de qui la séparation a été prononcée. Aux yeux de ma chère maman, cette précaution me servirait surtout quand elle ne serait plus là, que je resterais seule. Et je dois dire qu’en effet mon pseudo--