Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

revenue à force de souffrance ; et sans plus nous parler, nous nous inquiétions toutes deux, à part dans notre chagrin…

« Enfin, mon cher enfant, pour ne pas faire durer cette pénible histoire, le lundi matin nos petites nous furent ramenées par les ouvriers que ton oncle occupe dans l’île et qui les avaient trouvées sur un tas de sarments, pâles de froid et de faim après cette nuit en plein air, au milieu de l’eau. Et voici ce qu’elles nous ont conté dans l’innocence de leurs petits cœurs. Depuis longtemps l’idée les tourmentait de faire comme leurs patronnes Marthe et Marie dont elles avaient lu l’histoire, de s’en aller dans un bateau sans voiles, ni rames, ni provisions d’aucune sorte, répandre l’Evangile sur le premier rivage où les pousserait le souffle de Dieu. Dimanche donc après la messe, détachant une barque à la pêcherie et s’agenouillant au fond comme les saintes femmes, tandis que le courant les emportait, elles s’en sont allées doucement, échouer dans les roseaux de la Piboulette, malgré les grandes eaux de la saison, les coups de vent, les révouluns… Oui, le bon Dieu les gardait