Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/31

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avec sa maîtresse. Il l’appelait Fanny, la tutoyait.

— Tu sais, lui disait-il en installant son couvert sur leur nappe, je suis veuf depuis quinze jours. Maria est partie avec Morateur. Ça m’a laissé assez tranquille les premiers temps… Mais ce matin, en entrant à l’atelier, je me suis senti faignant comme tout… Impossible de travailler… Alors j’ai lâché mon groupe et je suis venu déjeuner à la campagne. Fichue idée, quand on est seul… Un peu plus je larmoyais dans ma gibelotte…

Puis regardant le Provençal dont la barbe follette et les cheveux bouclés avaient le ton du sauternes dans les verres :

— Est-ce beau, la jeunesse !… Pas de danger qu’on le lâche, celui-là… Et ce qu’il y a de plus fort, c’est que ça se gagne… Elle a l’air aussi jeune que lui…

— Malhonnête !… fit-elle en riant ; et son rire sonnait bien la séduction sans âge, la jeunesse de la femme qui aime et veut se faire aimer.

« Étonnante… Étonnante… » murmurait Caoudal, qui l’examinait tout en mangeant, avec un pli de tristesse et d’envie grimaçant