Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/91

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Près de lui, sa grosse femme en camisole s’évaporait aussi, quoiqu’elle ne fît jamais rien ; et, pour se rafraîchir le sang, ils entamaient de temps en temps un de leurs duos favoris.

L’intimité s’établit vite entre les deux ménages. Le matin, vers dix heures, la forte voix d’Hettéma criait devant la porte : « Y êtes-vous, Gaussin ? » Et leurs bureaux se trouvant du même côté, ils faisaient route ensemble. Bien lourd, bien vulgaire, de quelques degrés sociaux plus bas que son jeune compagnon, le dessinateur parlait peu, bredouillait comme s’il avait eu autant de barbe dans la bouche que sur les joues ; mais on le sentait brave homme, et le désarroi moral de Jean avait besoin de ce contact-là. Il y tenait surtout à cause de sa maîtresse vivant dans une solitude peuplée de souvenirs et de regrets plus dangereux peut-être que les relations auxquelles elle avait volontairement renoncé, et qui trouvait dans madame Hettéma, sans cesse préoccupée de son homme, et de la surprise gourmande qu’elle lui ferait pour dîner, et de la romance nouvelle qu’elle lui chanterait