Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/98

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prospéra, s’agrandit de toutes les terres jusqu’au Rhône, et, comme les chances humaines vont toujours par compagnie, le petit Jean fit son apparition sous les myrtes du domaine. Pendant ce temps, le Fénat errait par la maison, anéanti sous le poids de sa faute, osant à peine lever les yeux vers son frère dont le méprisant silence l’accablait ; il ne respirait qu’aux champs, à la chasse, à la pêche, fatiguant son chagrin à d’ineptes besognes, ramassant des escargots, se taillant des cannes superbes de myrte ou de roseau, et déjeunant tout seul dehors d’une brochette de becs fins qu’il cuisait, sur un feu de souches d’oliviers, au milieu de la garrigue. Le soir, rentré pour dîner à la table fraternelle, il ne prononçait pas un mot, malgré l’indulgent sourire de sa belle-sœur, pitoyable au pauvre être et le fournissant d’argent de poche, en cachette de son mari qui tenait rigueur au Fénat, moins pour ses sottises passées que pour toutes celles à commettre ; et en effet la grande incartade réparée, l’orgueil de Gaussin l’aîné fut mis à une nouvelle épreuve.