Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/108

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Aussi les braconniers eux-mêmes s’en faisaient un scrupule, et le jour de l’ouverture de la chasse, lorsque M. Rouher ou le marquis de la Valette arrivaient avec leurs invités, le garde général — j’allais dire le metteur en scène — désignait d’avance quelques poules faisanes hors d’âge, quelques vieux lièvres chevronnés, qui allaient attendre ces messieurs au rond-point du Grand-Chêne et tombaient sous leurs coups avec grâce en criant : « Vive l’Empereur ! » C’est tout ce qu’on tuait de gibier dans l’année.

Vous pensez quelle stupeur, les malheureuses bêtes, quand deux ou trois cents rabatteurs en bérets crasseux sont venus un matin se ruer sur leurs tapis de bruyères roses, dérangeant les couvées, renversant les clôtures, s’appelant d’une clairière à l’autre dans une langue barbare, et qu’au fond de ces taillis mystérieux où Mme de Pompadour venait épier le passage de Louis XV, on a vu luire les sabretaches et les casques pointus de l’état-major saxon ! En vain les chevreuils essayaient de fuir,