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Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/110

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nous vînmes nous enfermer dans Paris, le vieux La Loué enterra ses meubles, ses hardes, envoya sa famille au loin, et resta pour attendre les Prussiens.

« Je connais ma forêt, disait-il en brandissant sa carabine… qu’ils viennent m’y chercher ! »

Là-dessus nous nous séparâmes… Je n’étais pas sans inquiétude sur son compte. Souvent, pendant ce dur hiver, je me figurais ce pauvre homme tout seul dans la forêt, obligé de se nourrir de racines, n’ayant pour se garer du froid qu’une blouse de toile avec sa plaque par-dessus. Rien que d’y penser, j’en avais la chair de poule.

Hier matin, je l’ai vu arriver chez moi, frais, gaillard, engraissé, avec une belle lévite neuve, et toujours la fameuse plaque reluisant sur sa poitrine comme un bassin de barbier. Qu’a-t-il fait tout ce temps-là ? Je n’ai pas osé le lui demander ; mais il n’a pas l’air d’avoir trop souffert… Brave père La Loué ! Il savait si bien sa forêt ! Il y aura promené le prince de Saxe.

C’est peut-être une mauvaise pensée que