Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/184

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cela ne pourront jamais l’oublier. C’était si profond, si humain ! Rien que dans ces quatre mots, accentués lentement, tombant l’un après l’autre comme les notes d’un glas, la comédienne faisait tenir tant de choses : le regret de la jeunesse disparue, l’angoisse navrée de la femme qui sent que son règne est fini et que, si elle n’abdique pas de bonne volonté, la vieillesse va venir tout à l’heure lui signer son renoncement d’un coup de griffe en pleine figure. Minute horrible pour la plus forte, pour la plus honnête ! C’est comme un exil subit, un changement de climat et la surprise d’une atmosphère glacée succédant à cet air embaumé et tiède, plein de murmures flatteurs et d’adulations passionnées, qui entoure la beauté de la femme dans le midi de son âge. Pour la comédienne, l’arrachement est encore plus cruel. Chez elle, la coquetterie s’accroît et s’exaspère d’un désir de gloire. Aussi, la plupart des actrices ne veulent jamais finir, n’ont pas le courage de se mettre une bonne fois devant leur glace et de se dire : « J’ai bien mon âge, aujourd’hui. » Celles-là sont vraiment