Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mirable de voir les traits du grand comédien se décomposer un peu plus à chaque nouvelle lecture. On suivait les effets du poison, à mesure que ses yeux l’absorbaient… Puis, une fois saisi par sa propre émotion, Frédérick ne s’arrêtait plus, continuait la pièce. Un tressaut de tout son corps, un regard sanglant vers la porte. Sa femme venait d’entrer. Il la laissait venir jusqu’à lui sans bouger, et soudain se dressait, terrifiant, sa lettre à la main : « Lis ! » Puis, avant qu’elle eût répondu, devinant à l’épouvante de ce visage de femme que c’était vrai, que la lettre n’avait pas menti, il tournait deux ou trois fois sur lui-même comme une bête ivre, cherchait un cri, n’en trouvait pas, et toujours amoureux, même dans sa rage, pour passer sur quelque chose qui ne fût pas sa femme le besoin furieux de massacrer dont ses mains étaient pleines, il prenait la table à poignée et l’envoyait rouler à l’autre bout du salon avec la lampe, la vaisselle, tout ce qu’elle portait…

Ce coup de pied sacra Lafontaine grand acteur, fut pour sa foi de comédien comme