Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/21

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Depuis qu’Émile Ollivier y était entré, le ministère de la justice avait perdu tout caractère de pompe et de morgue administrative. Prenant au sincère son rêve d’Empire démocratique et libéral, vrai ministre à l’américaine, Ollivier n’avait pas voulu habiter ces vastes appartements, ces hauts salons, brodés d’abeilles, timbrés et chargés selon lui de trop autocratiques dorures. Il occupait toujours, rue Saint-Guillaume, son modeste logement d’avocat-député, et arrivait chaque matin place Vendôme, une grande serviette bourrée de papiers sous le bras, avec sa redingote et ses lunettes, comme un homme d’affaires qui va au Palais, comme un brave employé qui se rend pédestrement à son bureau. Cela le faisait mépriser un peu par les garçons et les huissiers. Porte grande ouverte, escalier désert ! Huissiers et garçons nous laissèrent passer, ne daignant pas même nous demander où nous allions, ni qui nous cherchions, témoignant seulement par un air dédaigneusement résigné et une certaine insolence correcte d’attitude combien ils trouvaient ces mœurs,