Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/211

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est riche, célèbre. Son village, qui la vit partir en loques, ne parle d’elle qu’avec respect. Elle est une autorité là-bas, presque une providence.

La récolte a manqué, le propriétaire presse. Le soir, sous la cheminée, l’homme dit en présentant la large paume de sa main à la flamme : « Phrasie, écoute voir… ton lait est bon, l’argent se fait cher : si t’allais à Paris faire une nourriture ? On n’en meurt pas ; et la patronne du bureau, qu’est d’ici et qui nous connaît ben, t’aurait une bonne place tout de suite. »

Elle s’en va, puis une autre. Peu à peu l’habitude se prend, l’amour du lucre continuant ce qu’avait commencé la misère. Maintenant, chaque fois qu’un enfant naît, son affaire est claire, et son destin réglé d’avance. Il restera au pays à teter la chèvre ; et le lait de la mère, bien vendu, servira à acquérir un champ, à arrondir un bout de pré.

Toute célébrité nourrisseuse, toute directrice de bureau de placement exploite ainsi spécialement sa province d’origine. L’une a