Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/214

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la vendange, au moment des grands travaux des champs.

Aujourd’hui le bureau de placement semble bien fourni. Sans compter les nourrices que nous avons vues à l’entrée traînant leurs sabots devant la porte, en voici vingt, trente, sous la fenêtre, dans un petit jardin transformé en cour, lugubre à voir avec ses bordures de buis piétinées, ses plates-bandes effacées, et les couches d’enfant qui sèchent sur une ficelle tendue au travers entre un figuier malade et un lilas mort. Tout autour un alignement de logettes sans étage, dont la nudité sordide fait songer à la fois aux payotes des nègres esclaves et aux cabanons des forçats. C’est là que logent les nourrices avec leurs enfants, en attendant d’être placées.

Elles campent sur des lits de sangle, dans un aigre relent de malpropreté rustique, au milieu du perpétuel tintamarre des marmots en tas qui s’éveillent tous dès que l’un crie, et se mettent à brailler ensemble, bouche tendue, vers le sein défait. Aussi aiment-elles mieux l’air libre du jardinet, où elles