Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/217

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tenue ; il faut régler. La directrice passe derrière son grillage et fait le compte. Effrayant, ce compte. D’abord le tant pour cent de la maison, puis l’arriéré de la nourrice en logement et en nourriture, quoi encore ? Les frais de route. Est-ce fini ? Non, il y a la « meneuse » qui va prendre l’enfant à la mère pour le reconduire au pays.

Triste voyage, celui-là ! On attend qu’il y ait cinq ou six poupons ; et la « meneuse » les emporte ficelés dans de grands paniers, la tête en dehors comme des poules. Plus d’un meurt dans ce trimballement à travers des salles d’attente glaciales, sur les dures banquettes des wagons de troisième classe, avec le lait du biberon et un peu d’eau sucrée au bout d’un chiffon pour nourriture. Et ce sont des recommandations pour la tante, pour la grand’mère. L’enfant, brutalement arraché du sein, s’agite et piaille ; la mère l’embrasse une dernière fois, elle pleure. On sait bien que ces larmes ne sont qu’à demi sincères, et que l’argent les séchera bientôt, ce terrible argent qui tient si fort aux entrailles paysannes. Malgré tout, la scène est