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Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/240

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passées, du carrelage sans tapis, et çà et là sur les cheminées — où traînaient des journaux de Paris, datés de l’avant-veille — des lampes de bronze, les seules de la ville qu’on ne soufflât pas au coup de neuf heures.

Quand j’arrivai, il y avait encore très peu de monde. Quelques vieux ronflaient, le nez dans leur journal, ou jouaient au whist silencieusement, et sous la lumière verte des abat-jour, ces crânes chauves penchés l’un vers l’autre, les jetons entassés dans leur petite corbeille en chenille, avaient le même ton mat, jaune, poli du vieil ivoire. Dehors, sur le mail, on entendait sonner la retraite, et le pas des promeneurs qui rentraient, dispersés par les rues en pente, les marches de niveau, les rampes de cette ville montagnarde à plusieurs étages… Après quelques derniers coups de marteau jetés aux portes dans le grand silence, la jeunesse délivrée des repas et des promenades de famille monta bruyamment l’escalier du cercle. Je vis entrer une vingtaine de solides montagnards gantés de frais avec des gilets échancrés, des cols