Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/242

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la montagne, quand je vis paraître la jolie tête pâlotte et toute frisée du petit duc de M***, membre du Jockey-Club, du Rowing-Club, de l’écurie Delamarre et de plusieurs autres sociétés savantes. Ce jeune gentilhomme que ses extravagances ont rendu célèbre sur le boulevard, venait de croquer en quelques mois l’avant-dernier million de la succession paternelle, et son conseil épouvanté l’avait envoyé se mettre au vert dans ce coin perdu des Cévennes. Je compris alors les airs alanguis de cette jeunesse, ses gilets en cœur, sa prononciation prétentieuse : j’avais maintenant son modèle sous mes yeux.

À peine entré, le membre du Jockey-Club fut entouré, fêté. On répétait ses mots, on imitait ses gestes, ses attitudes, si bien que cette pâle image de gandin, tirée, maladive, mais distinguée en dépit de tout, semblait reflétée tout autour dans de grossières glaces de campagne qui exagéraient ses traits. Ce soir-là, sans doute pour me faire honneur, M. le Duc parla beaucoup théâtre, littérature. Avec quel dédain, quelle