Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/37

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ce parleur terrible, ce grand gasconnant n’était pas gascon. Est-ce influence de la race ? Mais par plus d’un côté cet enragé fils de Cahors se rapprochait de la frontière et de la prudence italiennes ; le mélange du sang génois en faisait presque un avisé Provençal. Parlant souvent, parlant toujours, il ne se laissait pas emporter dans le tourbillon de sa parole ; très enthousiaste, il savait d’avance le point précis où son enthousiasme devait s’arrêter, et pour tout exprimer d’un mot, c’est à peu près le seul grand parleur, à ma connaissance, qui ne fût pas en même temps un détestable prometteur.

Un matin, comme cela finit toujours par arriver, cette bruyante couvée de jeunesse qui nichait Hôtel du Sénat, prit son vol, ayant senti pousser ses ailes. L’un tira au nord, l’autre au sud ; on se dispersa aux quatre coins du ciel. Gambetta et moi nous nous perdîmes de vue. Je ne l’oubliai pas cependant ; piochant pour mon compte et vivant très à l’écart du monde politique, je me demandais quelquefois : « Où est passé mon ami de Cahors ? » et cela m’eût étonné