Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/59

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cahier : Napoléon, homme du Midi. — synthétiser en lui toute la race.

Mon Dieu, oui. Pour le jour où le Roman de mœurs me fatiguerait par l’étroitesse et le convenu de son cadre, où j’éprouverais le besoin de m’espacer plus loin et plus haut, j’avais rêvé cela, donner la dominante de cette existence féerique de Napoléon, expliquer l’homme extraordinaire par ce seul mot très simple, LE MIDI, auquel toute la science de Taine n’a pas songé. Le Midi, pompeux, classique, théâtral, aimant la représentation, le costume, — avec quelques taches en rigole, — les estrades, les panaches, drapeaux et fanfares dans le vent. Le Midi familial et traditionnel, tenant de l’Orient la fidélité au clan, à la tribu, le goût des plats sucrés et cet inguérissable mépris de la femme qui ne l’empêche pas d’être passionné et voluptueux jusqu’au délire. Le Midi câlin, félin, avec son éloquence emportée, lumineuse, mais sans couleur, car la couleur est du Nord, — avec ses colères courtes et terribles, piaffantes et grimaçantes, toujours un peu simulées même