Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/69

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draguées et ramassées en route au hasard de l’existence, comme des herbes aux mailles d’un filet. Pendant que je portais Numa, on m’avait envoyé aux eaux d’Allevard ; et là, dans les salles d’inhalation, je voyais de jeunes visages, tirés, creusés, travaillés au couteau, j’entendais de pauvres voix sans timbre, rongées, des toux rauques, suivies d’un même geste furtif du mouchoir ou du gant guettant la tache rose au coin des lèvres. De ces pâles apparitions impersonnelles, une s’est formée dans mon livre, comme malgré moi, avec le train mélancolique de la ville d’eaux, son admirable cadre pastoral, et tout cela y est resté.

Numa Baragnon, mon compatriote, ancien ministre ou presque, trompé par une similitude de prénoms, fut le premier à se reconnaître dans Roumestan. Il protesta… Jamais on n’avait dételé sa voiture !… Mais une légende, retour d’Allemagne, la maladroite réclame d’un éditeur de Dresde eut bientôt remplacé le nom de Baragnon par celui de Gambetta. Je ne reviens plus sur cette niaiserie ; j’affirme seulement que Gambetta