Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/85

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leur dernière heure, pendant que la foule hurlait dans le jardin et que les déserteurs venaient coller leurs têtes hideuses aux fenêtres, flairant le sang comme des loups ; là enfin qu’on rapporta les deux cadavres et qu’ils restèrent exposés pendant deux jours.

Je descends, le cœur serré, les trois marches qui mènent au jardin ; vrai jardin de faubourg, où chaque locataire a son coin de groseilliers et de clématites séparés par des treillages verts avec des portes qui sonnent… La colère d’une foule a passé là. Les clôtures sont à bas, les bordures arrachées. Rien n’est resté debout qu’un quinconce de tilleuls, une vingtaine d’arbres fraîchement taillés, dressant en l’air leurs branches dures et grises, comme des serres de vautour. Une grille de fer court derrière en guise de muraille, et laisse voir au loin la vallée, immense, mélancolique, où fument de longues cheminées d’usines.

Les choses s’apaisent comme les êtres. Me voilà sur la scène du drame, et cependant j’ai peine à en ressaisir l’impression.