Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/98

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preneur des boues de Montreuil, lui avait heureusement procuré ce moyen de sortir de Paris… Il ne put pas m’en dire plus long. Les voitures étaient pleines, le convoi s’ébranlait. Mon homme n’eut que le temps de courir à son attelage, prit la file, fit claquer son fouet, et dia ! hue ! le voilà parti… L’aventure m’intéressait. Pour en voir la fin, je suivis de loin les tombereaux jusqu’à la porte de Vincennes.

Chaque homme marchait à côté de ses chevaux, le fouet en main, menant l’attelage par une longe de cuir. Pour lui rendre la besogne plus facile, on avait mis le vicomte le dernier ; et c’était pitié de voir le pauvre diable s’efforcer de faire comme les autres, imiter leur voix, leur allure, cette allure tassée, voûtée, somnolente, qui se berce au roulement des roues, se règle sur le pas des bêtes très chargées. Quelquefois on s’arrêtait pour laisser passer des bataillons qui descendaient du rempart. Alors il vous prenait un air affairé, jurait, fouettait, se faisait aussi charretier que possible, puis de loin en loin le cocodès reparaissait. Ce boueux