Page:Daudet - Théâtre, Lemerre, 1889.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’exposer à de nouveaux outrages, à de nouvelles meurtrissures. Mais c’est bien de l’orgueil d’une femme qu’il s’agit !… (Elle s’avance timidement.) Il s’agit d’André, de notre André qui pleure et qui souffre… C’est vous qui le faites pleurer, c’est vous qui le faites souffrir ! Et moi, je ne le veux pas, et moi, je vous le défends… entendez-vous, je vous défends de me le torturer ainsi… D’abord vous n’en avez pas le droit, et pour faire ce que vous faites, il faut être un méchant ou un fou ! (Elle s’arrête, le regarde ei pousse un cri.) Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce que je dis là, maintenant ?… (S’élançant vers lui.) Ce n’est pas vrai, ne m’écoutez pas. C’est moi qui suis folle, et tout ce que je dis vous le prouve bien. (Elle pleure.) Moi qui devrais être à vos genoux et vous supplier à mains jointes, voilà que je vous injurie et que je cherche de mauvaises paroles à vous dire… Et pourtant, si je pouvais vous ouvrir mon âme, vous n’y verriez que du respect et de l’admiration pour vous. Oui, vous avez raison, je le sens bien… il eût été plus digne pour André d’être fidèle à sa douleur. Oui, vous avez le droit de lui demander compte de sa conduite et de vous indigner de sa défection… Mais, croyez-moi, ce n’est pas André qu’il faut punir… C’est moi, c’est moi seule… Si vous saviez tout ce que j’ai fait pour qu’il m’aimât ; si vous saviez tout ce que j’ai fait pour qu’il oubliât… si je vous disais… Hélas ! j’en ai déjà trop dit, et maintenant vous ne voudrez plus m’entendre.

dominique, voix douce.

.

Ce n’est pas moi qui vous interromps, madame ; relevez-vous, je vous en prie, relevez-vous et continuez.