Page:Daudet - Théâtre, Lemerre, 1889.djvu/324

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Mais revoir ce que j’avais vu, la misère en famille, ma sœur courant le cachet, ma mère s’épuisant sur ses broderies, ces petites broderies à dents de rats qui mangent les yeux des femmes… Non ! Non ! ce n’était pas possible. Moi vivant, des choses pareilles ne pouvaient pas arriver. Et c’est pour qu’elles n’arrivent pas que je suis entré ici.

franqueyrol.

Pauvre enfant. (Un temps. – Namoun sur le divan essuie ses yeux avec son poing fermé.) Mais, enfin, ton père, ton père n’aurait donc pas pu t’aider, lui qui vend si bien ses affreux tableaux à horloge… Au fait, je suis naïf encore, moi, de croire qu’il les vend ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Jackson !… c’est de ton invention, n’est-ce pas ?… Parbleu !… alors, tous ces immortels chefs-d’œuvre…

henri, bas.

Roulés là-haut dans un coin du grenier. Qu’est-ce que tu veux ? le pauvre homme a toujours besoin d’un peu d’argent pour ses faïences, et j’ai trouvé ce moyen.

franqueyrol, amer.

C’est égal ! le bonheur des tiens te coûte cher, à toi… ton art, ton amour, ta vie, tu leur as tout donné, tout sacrifié…

henri.

Tout ! et je ne me plains pas… Si complet que soit mon sacrifice, il me reste la joie de dire : « C’est pour eux, » et avec cette pensée-là, vois-tu…

franqueyrol

Tais-toi… c’est épouvantable… c’est épouvantable