Aller au contenu

Page:Daudet - Théâtre, Lemerre, 1889.djvu/437

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

frédéri, l’embrassant.

Bonsoir… Je vais me coucher. (Elle l’accompagne d’un long regard et d’un sourire jusqu’à la porte de la chambre. À peine la porte fermée, la figure de la mère change, devient terrible.)


Scène III


ROSE, seule.


Être mère, c’est l’enfer !… Cet enfant-là, j’ai manqué mourir de lui en le mettant au monde. Puis il a été longtemps malade… À quinze ans, il m’a fait encore une grosse maladie. Je l’ai tiré de tout comme par miracle. Mais ce que j’ai tremblé, ce que j’ai passé de nuits blanches, les rides de mon front peuvent le dire… Et maintenant que j’en ai fait un homme, maintenant que le voilà fort, et si beau, et si pur, il ne songe plus qu’à s’arracher la vie, et, pour le défendre contre lui-même, je suis obligée de veiller là, devant sa porte, comme quand il était tout petit. Ah ! vraiment, il y a des fois que Dieu n’est pas raisonnable… (Elle s’assied sur un escabeau.) Mais elle est à moi, ta vie, méchant garçon. Je te l’ai donnée, je te l’ai donnée vingt fois. Elle a été prise jour par jour dans la mienne ; sais-tu bien qu’il a fallu toute ma jeunesse pour te faire tes vingt ans ? Et à présent tu voudrais détruire mon ouvrage. Oh ! oh !… (Radoucie et triste.) Comme c’est ingrat, tout de même, les enfants !… Et moi aussi, quand mon pauvre homme est mort et qu’il me tenait les mains en s’en allant, j’avais bien envie