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Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/158

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je suis là-bas, je roule les bazars d’Alger dans un demi-jour qui sent le musc, l’ambre, la rose étouffée et la laine chaude ; les guzlas nasillent sur trois cordes devant les petites armoires à glace tunisiennes aux arabesques de nacre, pendant que le jet d’eau tinte sa note fraîche sur les faïences du patio. Et me voilà courant le Sahel, les bois d’orangers de Blidah, la Chiffa, le ruisseau des singes, Milianah et ses pentes vertes, ses vergers enchevêtrés de tournesols, de figuiers, de cougourdiers comme nos bastides provençales.

Voilà l’immense vallée du Chélif, des maquis de lentisques, de palmiers nains, des torrents à sec bordés de lauriers-roses ; sur l’horizon, la fumée d’un gourbi montant droite d’un fourré de cactus, l’enceinte grise d’un caravansérail, un tombeau de saint avec sa coupole blanche en turban, ses ex-voto sur le mur de chaux éblouissant, et ça et là, dans l’étendue brûlée et claire, de mouvantes taches sombres qui sont des troupeaux, et que l’on prendrait, n’était le bleu profond et immaculé du ciel, pour les ombres portées de grands nuages en marche.

Et j’entends encore, avec la sensation au