Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/204

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Le rideau allait se lever quand je m’établis dans ma stalle. La salle avait un air étrange ; c’était le mardi-gras, on dansait toute la nuit à Bullier, et pas mal d’étudiants et d’étudiantes étaient venus passer deux heures au théâtre en costume de bal masqué. Il y avait des chicards, des folies, des polichinelles, des pierrettes et des pierrots. — « Dur, très dur, pensais-je dans mon coin, de faire pleurer des polichinelles ! » Ils pleurèrent pourtant, ils pleurèrent si fort, que les paillettes de leurs bosses où la lumière s’accrochait semblaient autant de larmes brillantes. J’avais à ma droite une folie dont l’émotion à toute minute faisait frémir le bonnet à grelots, et à ma gauche une pierrette, grosse dondon au cœur sensible, comique à voir dans son attendrissement, avec deux grosses sources qui jaillissaient de ses gros yeux et dégringolaient en double sillon dans la farine de ses joues. Décidément, la dépêche ne m’avait pas menti : mon petit acte obtenait un succès énorme. Pendant ce temps-là, moi, l’auteur, j’aurais voulu être à cent pieds