Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/212

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monde des théâtres, plus patriarcal qu’on ne pense, ces cafés d’auteurs et d’acteurs où son père l’amenait le dimanche, et où l’on entend, au lieu des brindisi orgiaques rêvés par les provinciaux, le bruit sec des dés jetés sur la table du jacquet ou des dominos qu’on remue. Rochefort fut donc le collégien, fils d’artiste ou d’homme de lettres, dont nous avons tous connu le type, initié dès l’enfance aux secrets de coulisses, appelant les acteurs célèbres par leur nom, au courant des pièces nouvelles, donnant en cachette des billets de spectacle à son pion et acquérant ainsi le privilège d’élucubrer impunément au fond du pupitre, entre un lézard apprivoisé et une pipe, un tas de chefs d’œuvre dramatiques ou autres qu’on va porter, les jours de sortie, le képi sur l’œil et le cœur battant à faire sauter les boutons de la tunique, dans les boîtes de journaux jamais ouvertes et chez les narquois portiers de théâtre. La destinée de ces collégiens-là est toute réglée : à vingt ans, ils entrent dans une administration quelconque, ministère ou bureaux de la ville, et continuent à