Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

deux fois : la première, à l’enterrement de Victor Noir, porté dans un fiacre, évanoui, épuisé par une lutte de deux heures soutenue à côté de Delescluze contre une foule affolée, deux cent mille hommes désarmés qui, avec des enfants, des femmes, voulaient à toute force ramener le cadavre à Paris où le canon les attendait, marcher à une tuerie certaine. Puis, une autre fois encore, pendant la guerre, dans le tohu-bohu de la bataille de Buzenval, dans le piétinement des bataillons, les coups sourds du canon des forts, le roulement des voitures d’ambulance, au milieu de la fièvre, de la fumée, des évêques paradant à cheval dans un costume de mascarade, de braves bourgeois qui allaient se faire tuer, pleins de confiance au plan Trochu, au milieu de l’héroїque, au milieu du grotesque, au milieu de ce drame inoubliable, pétri, comme ceux de Shakespeare, de sublime et de comique, qui s’appelle le siège de Paris. C’était sur la route du mont Valérien : du froid, de la boue, les arbres dépouillés frissonnant tristement sur le ciel brumeux. Mon ami passait en voiture, tou-