Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

contrions rarement, seulement le dimanche, et encore accidentellement, c’est-à-dire quand notre bourse nous permettait le luxe d’un dîner à table d’hôte.

C’est là que je vis Gambetta. Il était déjà l’homme que nous avons connu et admiré. Heureux de vivre, heureux de parler, ce loquace Romain, greffé sur une souche gauloise, s’étourdissait lui-même du cliquetis de ses discours, faisait trembler les vitres aux éclats de sa tonitruante éloquence, et finissait le plus souvent par de bruyants éclats de rire. Il régnait déjà sur la foule de ses camarades. Dans le quartier, c’était un personnage, d’autant plus qu’il recevait de Cahors 300 francs par mois — somme énorme pour un étudiant de ces temps reculés. Nous nous sommes liés depuis. Mais je n’étais encore qu’un provincial arrivé la veille et à peine dégrossi. Je me bornais du bout de la table à le contempler, avec beaucoup d’admiration et sans l’ombre d’envie.

Lui et ses amis s’occupaient avec ardeur de politique ; au quartier latin ils faisaient déjà le siège des Tuileries, tandis que mes