Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/28

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en brosse, atteignant presque les sourcils ; cette voix me rendait nerveux. Il venait d’écrire l’Argent, sorte de pamphlet dédié à Mirès et orné en guise de vignette d’un dessin représentant une pièce de cent sous ; et en attendant de devenir l’associé de Mirès, il s’était fait l’inséparable du vieux critique Gustave Planche. L’Aristarque de la Revue des Deux-Mondes était alors un gros vieillard à l’air dur, un Philoctéte enflé, traînant la jambe et clochant du pied. Un jour j’eus l’audace de les épier à travers une fenêtre du café de la rue Taranne, en me haussant jusqu’à la vitre et en la frottant avec mes doigts ; c’était le café voisin de la maison aujourd’hui démolie où Diderot a demeuré quarante ans. Ils étaient assis en face l’un de l’autre ; Vallès gesticulait avec animation. Planche était en train d’absorber verre à verre un carafon d’eau-de-vie.

Et Cressot ! le débonnaire, l’excentrique Cressot, que Vallès a immortalisé depuis dans ses Rêfractaires, il me serait difficile de l’oublier. Je l’ai aperçu bien souvent au Quartier, se glissant le long des murs, pro-