Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lumineux ; jusque sous l’aviron des hirondelles venaient boire.

Un jour, en pénétrant dans mon île, je trouve ma solitude envahie par une barbe blonde et un chapeau de paille. Je ne vois que cela d’abord, une barbe blonde sous un chapeau de paille. L’intrus ne pêche pas ; il est allongé dans son bateau, ses avirons croisés comme les miens. Il travaille, lui aussi, il travaille chez moi !… À première vue, nous eûmes l’un et l’autre la même grimace. Pourtant on se salua. Il fallait bien : l’ombre du saule était courte et nos deux bateaux se touchaient. Comme il ne paraissait pas disposé à s’en aller, je m’installai sans rien dire ; mais ce chapeau à barbe si près de moi dérangeait mon travail. Je le gênais probablement aussi. L’inaction nous fit parler. Ma yole s’appelait l’Arlésienne et le nom de Georges Bizet nous mit tout de suite en rapport.

— Vous connaissez Bizet !… Par hasard, seriez-vous artiste ?

La barbe sourit et répondit modestement :

— Monsieur, je suis dans la musique.