Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/338

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retrouver le vieux Maître et les amis, Flaubert m’empoigne dès la porte :

— Vous ne connaissez pas Tourguéneff ? Il est là.

Et sans attendre ma réponse, il me pousse dans le salon. Du divan où il s’allongeait, un grand vieux à barbe de neige se dressa en me voyant entrer, déroulant sur le tas des coussins les anneaux de son corps de boa aux yeux étonnés, énormes.

Nous autres Français, nous vivons dans une ignorance extraordinaire de toute littérature étrangère. Notre esprit est aussi casanier que nos membres, et, par horreur des voyages, nous ne lisons pas plus que nous ne colonisons, dès qu’on nous dépayse. Par hasard, je savais à fond l’œuvre de Tourguéneff. J’avais lu avec une grande émotion les Mémoires d’un Seigneur russe, et ce livre, rencontré, m’avait conduit à l’intimité des autres. Nous étions liés sans nous connaître, par l’amour des blés, des sous-bois, de la nature, une compréhension jumelle de son enveloppement.

En général, les descriptifs n’ont que des