Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/342

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vente de ses livres, l’obscurité de son nom en France. Hetzel l’imprimait comme par charité. Sa popularité n’avait pas passé la frontière. Il souffrait de vivre inconnu d’un pays qui lui était cher, confessait ses déboires un peu tristement, mais sans rancœur. Au contraire, nos désastres de 1870 l’avaient attaché davantage à la France. Il ne pouvait plus la quitter. Avant la guerre, il passait ses étés à Bade, maintenant il n’irait plus là-bas, se contenterait de Bougival et des bords de la Seine.

Justement, ce dimanche-là, il n’y avait personne chez Flaubert et notre tête-à-tête se prolongea. Je questionnai l’écrivain sur sa méthode de travail et m’étonnai qu’il ne fît pas lui-même ses traductions, car il parlait un français très pur, avec un soupçon de lenteur, à cause de la subtilité de son esprit.

Il m’avoua que l’Académie et son dictionnaire le gelaient. Il le feuilletait dans le tremblement, ce formidable dictionnaire, comme un code où seraient formulés la loi des mots et les châtiments des hardiesses. Il