Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/350

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et les coquillages ; Tourguéneff dégustait son caviar.

Ah ! nous n’étions pas faciles à nourrir, et les restaurants de Paris doivent se souvenir de nous. On en changeait souvent. Tantôt c’était chez Adolphe et Pelé, derrière l’Opéra, tantôt place de l’Opéra-Comique ; puis chez Voisin, dont la cave apaisait toutes les exigences, réconciliait les appétits.

On s’attablait à sept heures, à deux heures on n’avait pas fini. Flaubert et Zola dînaient en manches de chemise, Tourguéneff s’allongeait sur le divan ; on mettait les garçons à la porte, — précaution bien inutile, car le « gueuloir » de Flaubert s’entendait du haut en bas de la maison, — et l’on causait littérature. Nous avions toujours un de nos livres qui venait de paraître. C’étaient la Tentation de Saint-Antoine et les Trois Contes de Flaubert, la Fille Élisa de Goncourt, l’Abbé Mouret de Zola ; Tourguéneff apportait les Reliques vivantes et les Terres Vierges, moi Fromont, Jack. On se parlait à cœur ouvert, sans flatterie, sans complicité d’admiration mutuelle.