Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/67

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Enfin l’émotion se calma et les quadrilles commencèrent. Je dansai, il le fallut ! Je dansai même assez mal, pour un prince valaque. Le quadrille fini, je m’immobilisai, sottement bridé par ma myopie, trop peu hardi pour arborer le lorgnon, trop poète pour porter lunettes, et craignant toujours au moindre mouvement de me luxer le genou à l’angle d’un meuble ou de planter mon nez dans l’entre-deux d’un corsage. Bientôt la faim, la soif s’en mêlèrent ; mais pour un empire je n’aurais osé m’approcher du buffet avec tout le monde. Je guettais le moment où il serait vide. En attendant, je me mêlai au groupe des politiqueurs, gardant un air grave, et feignant de dédaigner les félicités du petit salon d’où m’arrivait, avec un bruit de rires et de petites cuillers remuées dans la porcelaine, une fine odeur de thé fumant, de vins d’Espagne et de gâteaux. Enfin, quand on revient danser, je me décide. Me voilà entré, je suis seul…

Un éblouissement, ce buffet ! c’était sous la flamme des bougies, avec ses verres, ses flacons, une pyramide en cristal, blanche,