Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/86

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entrer ; et le pauvre Jean Duboys mourut fou à la fin du siège, sans avoir terminé son grand poème philosophique « Enceldonne », où toute l’humanité devait évoluer sur son cylindre. Mais qui se fût douté alors de la triste destinée de cet excellent garçon, tranquille, raisonnable, que je regardais avec envie noircissant de sa fine écriture régulière les innombrables pages d’un roman de petit journal et s’assurant, les yeux à la pendule d’heure en heure, s’il avait bien fait toute sa tâche ?

Il gelait dur, cet hiver-là, et, malgré les panerées de charbon englouties dans la grille, nous voyions, par ces veilles laborieuses indéfiniment prolongées, le givre dessiner sur la vitre un voile aux fantastiques arabesques. Dehors, des ombres frileuses erraient dans la brume opaque de la place ; c’était la sortie de l’Odéon, ou la jeunesse qui remontait vers Bullier en poussant des cris pour s’allumer. Les soirs de bal masqué, l’étroit escalier de l’hôtel s’ébranlait sous des dégringolades effrénées où sonnaient chaque fois les grelots d’un bonnet