Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/90

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Plus tard, j’aurais moins craint de m’arrêter aux enfantillages du début et donné plus de développement à ces lointains souvenirs où sont nos impressions initiatrices, si vives, si profondes, que tout ce qui vient ensuite les renouvelle sans les dépasser. Dans le mouvement agrandi de l’existence, le flux des jours et des années, les faits se perdent, s’effacent, disparaissent, mais ce passé reste debout, lumineux, baigné d’aube. On pourra oublier une date récente, un visage vu d’hier ; on se rappelle toujours le dessin du papier de tenture dans la chambre où l’on couchait enfant, un nom, un refrain du temps où l’on ne savait pas lire. Et comme la mémoire va loin dans ces retours en arrière, franchissant des années vides, des lacunes ainsi que dans les rêves ! J’ai, par exemple, un souvenir de mes trois ans, un feu d’artifice à Nîmes pour quelque Saint-Louis, et que je vis porté à bras tout en haut d’une colline chargée de pins. Les moindres détails m’en sont restés présents, le murmure des arbres au vent de nuit, — sans doute ma première nuit dehors, — l’extase bruyante de la foule,