Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/92

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deur de cette ville industrielle et mystique, avec le brouillard permanent qui monte de ses fleuves et pénètre ses murs, sa race, répand une vague mélancolie germanique jusque dans les productions de ses écrivains et de ses artistes : Ballanche, Flandrin, de Laprade, Chenavard, Puvis de Chavannes. Mais si la personnalité morale du pays m’échappait, l’énorme ruche ouvrière de la Croix-Rousse bourdonnant de ses cent mille métiers, et, sur la colline en face, Fourvière carillonnant, processionnant entre les étroites ruelles de sa montée, bordées d’imageries religieuses, d’échoppes à reliques, m’ont laissé d’ineffaçables souvenirs dont la place était toute marquée dans le Petit Chose.

Ce que j’y trouve assez fidèlement noté, c’est l’ennui, l’exil, la détresse d’une famille méridionale perdue dans la brume lyonnaise, ce changement d’une province à une autre, climat, mœurs, langage, cette distance morale que les facilités de communication ne suppriment pas. J’avais dix ans, alors, et déjà tourmenté du désir de sortir de moi-même, de m’incarner en d’autres êtres dans