Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/98

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Je me rappelle un autre de mes « petits », nature fine, choisie, auquel je m’étais attaché, que je faisais travailler tout particulièrement, pour l’unique plaisir de voir se développer cette petite intelligence comme un bourgeon au printemps. Très touché de mes soins, l’enfant m’avait fait promettre de passer mes vacances chez lui, à la campagne. Ses parents seraient si heureux de me connaître, de me remercier. Et, en effet, le jour des prix, après de grands succès qu’il me devait un peu, mon élève vint me prendre par la main et m’amena gentiment vers les siens, père, mère, sœurs élégantes, tous occupés à faire charger les prix sur un grand break de promenade. Je devais avoir une triste tournure dans mes habita râpés, quelque chose qui déplut ; car la famille me regarda à peine, et le pauvre petit s’en alla, les yeux gros, tout honteux de sa déception et de la mienne. Minutes humiliantes et cruelles qui fanent, déshonorent la vie ! J’en tremblais de rage dans ma petite chambre sous les toits, tandis que la voiture emportait l’enfant chargé de cou-