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Auprès des Sophes et mal vue d’eux une petite compagnie d’internés se groupait autour d’un jeune homme du Tibet qu’ils regardaient comme leur maître. Cet Asiatique était connu sous le nom de Nakintchanamoûrti, ce qui veut dire en langue sanscroutane « Incarnation-de-rien-du-tout ». J’eus l’occasion de le voir. Il ne me parut pas malade, peut-être seulement un peu trop doux de caractère, et je soupçonne qu’il était retenu là contre son gré par des machinations de ses soi-disant disciples. Ceux-ci le regardaient comme le dépositaire de toute sagesse et il leur répondait :

— Fichez-moi la paix. Je n’ai rien à vous apprendre. Allez-vous-en. Que chacun cherche pour soi », et d’autres paroles également sensées.

Mais les disciples, et spécialement les femmes, ouvraient de grands yeux, prenaient un air inspiré et interprétaient les paroles du Maître dans ce qu’ils appelaient un sens ésotérique. Il fallait entendre par ce mot, nous apprenait notre dictionnaire de poche, « un sens caché et flatteur que l’on imagine sous des paroles désagréables afin de pouvoir les supporter ».

— Examinez bien, disait une vieille, la première phrase que le Maître a prononcée : « Fichez-moi la paix. » Quatre mots : c’est le tétragramme cabbalistique, le sacré quaternaire du Bouddha-gourou, que les Grecs prononçaient Puthagoras. « Fichez » est, selon la grammaire