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Je n’avais pas grandes peines à me guider. Il me suffisait de marcher vers la cathédrale, dont la flèche en carton-pâte dressait ses six cents mètres de hauteur vers les combles. Mais on n’y arrivait pas tout droit. Il me fallut traverser des quartiers encombrés de chapelles, de calvaires, d’églises, de mausolées, de basiliques, de pagodes, de dagops, de stoûpas, de mosquées, de synagogues, de mâts totémiques, de mastabas — tout cela en faux, bien entendu — entre lesquels circulait une mascarade de gens déguisés en prêtres de tous les cultes possibles. Les uns accomplissaient des rites sans les comprendre et les autres expliquaient les rites sans les exécuter. Les uns disaient de sages paroles en des langues inintelligibles, les autres disaient des stupidités dans la langue populaire.

C’est dans ce quartier que s’élevaient les fabriques d’eau bénite dont le professeur Mumu m’avait parlé. La préparation du liquide est fort simple. Quelques paroles magiques et quelques gestes devant une quantité quelconque d’eau ordinaire et la voilà transmuée. Il faut, il est vrai, porter pour cela une robe spéciale et s’être fait raser un petit cercle de cuir chevelu. L’eau est ensuite versée dans des espèces d’abreuvoirs minuscules scellés à l’entrée de certains édifices et les malades peuvent venir y tremper leurs doigts et s’en imbiber certains points du corps. Même à travers les vêtements, paraît-il, le liquide finit par agir.

Dans les mêmes édifices, des foules se réunissent pério-