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Les alentours abondaient en Sophes de toutes espèces. Parmi eux étaient fort à la mode les Astromanciens, Idyllomanciens, Chirologues, Iridomanciens, Borborygmomanciens, Astragalomanciens, Molybdomanciens, Fritillistes, Rhabdologues, tous habiles à dire le passé et l’avenir et à escamoter le présent. Comme j’allais, par curiosité, livrer ma date de naissance à l’un de ces divinateurs, la voix du professeur Mumu me fit retourner.

— Vous perdez votre temps, disait-il. Ils sont trop nombreux. Mais, comme j’ai fait pour les Scients, j’ai groupé les meilleurs Manciens de notre époque dans un Institut où ils travaillent à la chaîne. Le client y est examiné tour à tour par des spécialistes des conjonctions astrales, des tarots, des lignes de la main, des marques de la prunelle, des bruits intestinaux, des osselets, des larmes de plomb fondu, des dés, de la baguette, de tous les moyens, enfin, que l’homme emploie pour savoir sans voir ni être vu, comprendre sans prendre ni donner, connaître sans naître ni mourir. Et comme tous ces gens vivotent par ces pensées : « moi, je sais les secrets qui délivrent du déterminisme universel… tout est soumis à la nécessité, mais moi je suis initié à une réalité supérieure… l’homme est plongé dans les ténèbres de l’ignorance, mais moi je suis dans le secret des dieux… moi je sais… moi je peux… moi je fais… moi je suis d’une nature transcendante… », à cause de cela nous leur avons